ATTRAPE MON COEUR, HOLDEN

Adaptation de l’Attrape-Coeurs de Salinger

Adaptation de l'Attrape-Coeurs de Salinger Cette nouvelle création de la Bande J est une mise en abîme de la figure adolescente au travers du temps: une rencontre entre la jeunesse d'aujourd'hui et celle d'après-guerre. En 1951, Salinger publie The Catcher in the Rye (L'attrape-coeurs) qui devient rapidement un roman phare sur l'adolescence, lu avec passion par des générations successives. Un mystère, un mythe, une alchimie d'émotions, Salinger a ouvert la voie à une nouvelle littérature. Son personnage, Holden, est un jeune homme attachant, décalé et différent: un antihéros au coeur tendre qui attrape le nôtre. De nombreux lecteurs et écrivains sont nés avec L'attrape-coeurs. Découvrir ce roman à 15 ans, c'est comme rencontrer la seule personne capable de vous comprendre.
La Bande J est composée de jeunes acteurs passionnés et très engagés. Le public, dont de nombreuses classes, a pu les apprécier dans leurs trois dernières créations: Les Misérables, Sauve qui veut la vie et Dans la peau du monde. Ils aiment les défis et sont en quête d'aventures fortes à vivre et à construire en groupe. Il est fort à parier que leur plongée dans ce récit phare des années 50 embarque le coeur du spectateur. La Bande J
  • Basile Campanelli
  • Chloé Chevalley
  • Romane Golan
  • Baptiste Homère
  • Jeremy Huescar
  • Annaïk Juan-Torres
  • Grégoire Manghi
  • Elisa Marti
  • Jérémie Nicolet
  • Charlotte Piguet
  • Alic Ribordy
  • Georgia Rushton
  • Alice Thévenoz
  • Lucien Thévenoz
  • Johan Walthert
  • Matthieu Wenger
Adaptation Nathalie Jaggi Mise en scène Nathalie Jaggi et Evelyne Castellino Chorégraphie Nathalie Jaggi Assistants Séverine Geroudet et Philippe Verlooven Stages chorégraphiques avec Verena Lopes, lua Gomes et Markus Schmidt Vidéo Francesco Cesalli avec la collaboration des interprètes Bande son Jacques Zürcher Costumes Spooky Dolls Surgery Recherches musicales Nathalie Jaggi et Philippe Verlooven Lumière et régie Janos Horvath Régie son Romain Battiaz Régie vidéo Franscesco Cesalli Attachée de presse France Jaton Administration et affiche Evelyne Castellino Photographe Pierre-André Fragnière

À la ligne

Le Dortoir : se construire en tant que jeune adulte

Source: La Pépinière
Publié par Fabien Imhof
Photos : © Cie Acrylique

Le texte de ce Dortoir, imaginé par Lucien Thévenoz, Matthieu Wenger et Evelyne Castellino, mêle les questionnements des jeunes artistes au roman de Robert Musil, Les désarrois de l’élève Törless. À travers les passages lus par la surveillante lors de ses rares moments de répit, les mots de Musil et le spectacle relatent l’éveil des consciences : celle de Törless, comme celles des jeunes qui dorment et vivent au sein du dortoir. L’internat fait partie d’un projet pilote visant l’égalité totale : mixité des dortoirs, même uniforme pour tout le monde (chemisier blanc, jupe noire et chaussettes blanches), cours communs… Aucune différence de genre n’est faite, et c’est une première ! Ce choix permet de confronter les pensées et opinions de ces jeunes adultes encore en construction, dans un lieu bien particulier qui mêle solitude et vie en communauté.

Le Dortoir : lieu propice au développement

Comme une chambre, le dortoir est un lieu intime. Pourtant, les occasions y sont rares de retrouver véritablement à l’écart. C’est donc face aux autres qu’il faut se construire, tenter d’entrer dans le moule, s’intégrer au groupe tout en affirmant sa personnalité. Ce qui peut aussi être source de complexes. Il en va ainsi de cet élève sans argent de poche au milieu de gens aisés, ou de cette jeune fille amoureuse parfois d’une fille, parfois d’un garçon ; il y a aussi ce fan de Shakespeare qui écrit tous les jours à ses parents, celle qui n’aime pas les soirées car elle s’y sent déjà « vieille » et en décalage…

Ce sont toutes ces personnalités et bien d’autres qui cohabitent dans ce dortoir et tentent de s’y développer, encadrés bien sûr par des adultes. On n’en apercevra que deux : la nouvelle surveillante, qui préconise la camaraderie et ne souhaite pas qu’on la prenne pour une figure d’autorité absolue, instaurant par-là un lien de confiance avec les élèves ; et Monique, dite Momo, la prof de gym un peu stéréotypée, mais avec un cœur gros comme ça, et surtout grande fan de Céline Dion !

Questionner le monde

Si les jeunes de ce Dortoir n’ont pas encore une expérience totale du monde qui les entoure, iels y sont pourtant confronté·e·s au quotidien et y réfléchissent, avec une fraîcheur et une spontanéité dont certain·e·s feraient bien de s’inspirer. Ainsi, l’internat dans lequel iels vivent agit comme un microcosme de la société ; les thématiques liées aux (in)égalités y sont nombreuses et les points de vue, intelligemment confrontés. Ainsi, il y a ce jeune traité de harceleur parce qu’il a mis mal à l’aise une de ses camarades, alors qu’il ne sait simplement pas comment s’y prendre. Ou encore l’effet de groupe qui entraîne des violences sur un autre adolescent qui n’a, a priori, rien fait pour le mériter… mais quand on apprend qu’il a volé de l’argent, la question prend soudain une autre tournure.

Et lorsque les filles s’ennuient parce que le salon de lecture est fermé pour cause de réunion de la direction – pourquoi ne pas le faire dans les bureaux, se demandent d’ailleurs tou·te·s ces jeunes ? – elles s’amusent à jouer aux relations mère-fille, montrant par là le décalage entre les générations. Sans jugement, la Bande J cherche avant tout à montrer les différents points de vue et ressentis de chacun·e, rappelant qu’une histoire peut prendre un tournant très différent selon la personne qui la raconte…

Une énergie folle

Si le fond est aussi percutant, c’est aussi parce que la forme qui l’enrobe est à la hauteur du propos. Rappelons ici que la Bande J est la troupe « Acrylique junior ». Comme chez les « grands », à l’image du puissant Un discours ! Un discours ! Un discours !, on mêle les arts : Valentin, Fiona, les deux Nora, Katia, Antoine, Téo, Alizé, Clémence, Cyriel et Mila chantent, dansent, jouent… Toutes et tous ont déjà une solide expérience de la scène et y développent toute leur verve et leur personnalité, pour transmettre toute l’énergie nécessaire à ce texte si riche.

Comme des enfants, iels jouent – au théâtre ou à des jeux – et prennent un plaisir fou, illustrant parfaitement cette période de transition dans laquelle iels vivent, entre innocence et conscience de l’hostilité du monde, entre envie de s’amuser et interrogations profondes. Le Dortoir, un spectacle à écouter les yeux grands ouverts !

La Cité des Secrets : la Bande J fait son cirque !

Source: La Pépinière
Publié par Magali Bossi
Photos : ©Pierre-André Fragnière

Approchez, mesdames et messieurs, dans un instant, ça va commencer ! Venez voir les comédiens, les musiciens, les magiciens… et venez découvrir un cirque pas comme les autres. Entrez, entrez ! La Bande J vous ouvre les portes de La Cité des Secrets

En pénétrant dans la Parfumerie, on oublie aussitôt la pluie et le froid de ce mois de mai maussade : la scène se drape d’un immense rideau rouge, qui surplombe une piste aux étoiles éclairée de mille feux. Aucun doute, nous sommes au cirque ! Et un cirque à l’ancienne, si on en juge l’ambiance, qui n’aurait pas dépareillé dans une chanson d’Aznavour ! D’ailleurs, Alcide, le directeur (Luca Leone) nous accueille. Tantôt perdu dans ses pensées, tantôt s’adressant à nous avec enthousiasme, il réfléchit à son prochain spectacle dont il nous propose un aperçu en primeur… et c’est soudain un défilé de couleurs, d’enthousiasme et de costumes féériques qui s’élance sur la piste, sur fond de fanfare balkanique.

En coulisses : des secrets…

La Cité des Secrets raconte donc la vie d’un cirque – une vie de paillettes… mais pas seulement. Car derrière l’éclat des projecteurs, il y a des êtres avec des vécus, des parcours et des secrets innombrables. Le cirque d’Alcide est une vraie « cité des secrets » : un lieu où, d’où que l’on vienne et qui que l’on soit, on est accueilli sans poser de questions… pour peu qu’on donne le meilleur de soi-même sur la piste, bien sûr ! Peu à peu, le cirque prend une épaisseur inattendue : ce n’est plus seulement ce qu’on nous donne à voir, le plaisir des yeux (le numéro du magicien, celui de la lune et du soleil, la lecture dans les lignes de la main, ou les chansons et les danses…), c’est aussi ce qu’on nous murmure au creux de l’oreille – les secrets de celles et ceux qui vivent dans ce cirque. Il y a par exemple Camille (Nora Coeytaux), qui y a trouvé un refuge :

« Je me suis enfuie de la maison. De la maison qui n’était pas vraiment la maison. De la maison où j’ai été placée. Où il y avait des parents qui n’étaient pas vraiment les miens. Un papa qui ne jouait pas seulement son rôle de papa. Qui était toujours dans mon dos. Qui avait la tendresse pourrie. C’était une sale maison. Une sale maison entourée de neige blanche. Tellement blanche qu’on n’aurait jamais soupçonné qu’à l’intérieur de la maison tout puisse être aussi sale.»

Le cirque a aussi été la planche de salut de la fille-à-la-famille-d’artistes (Alizé Probst), celle qui n’a pas su trouver les mots pour aider ce père dont elle était si proche, enfant – ce père qui a tant changé suite à une dépression. Il y a les secrets du passé… et ceux qu’on se crée au sein de la troupe, qu’on essaie de cacher (avec plus ou moins de succès) à ses partenaires de scène. Parce qu’un cirque, par bien des côtés, ressemble à un petit microcosme où tout le monde finit par tout savoir sur les autres ! À commencer par le plus grand secret de tous : l’amour ! C’est le cas pour Mélissa, la femme-canon (Katia Ritz). Entre deux entraînements, elle se livre à ses partenaires qui la rattrapent lorsqu’elle s’élance à toute vitesse de son trampoline :

« Quand je suis avec Camille, évidemment, je ne lui offre qu’une face à peine lisible et silencieuse, mais à l’intérieur ça chante, enfin, je suis bien avec elle. Bon, n’allez pas bavarder sur le fait qu’elle me plaît, hein ? »

Secrets familiaux, amoureux, drôles, tragiques, inavoués, inavouables… ils sont plus nombreux que les paillettes des costumes.

Théâtre et adolescence : une mise en abyme…

Pourtant, la force de La Cité des Secrets ne tient pas uniquement dans ces vignettes de vie. Si la pièce est à retenir, c’est par la puissance de sa mise en abyme – car en choisissant de placer leur intrigue dans un cirque, au milieu des artistes, les quatre co-auteurs et autrice du texte (Lucien Thévenoz, Matthieu Wenger, Serge Martin et Évelyne Castellino) parlent davantage du monde de la scène, du théâtre et de l’art en général que de trajectoires personnelles. C’est sans doute le personnage du directeur Alcide qui met le mieux en évidence cette facette. Dans son long monologue initial, il décrit la relation intime qui se noue entre artistes et public, au-delà du quatrième mur que constitue la scène :

« Je disais que vous ne risquiez rien, enfin si vous risquez, car entrer dans un théâtre est toujours un risque. Passer une heure ou plus en compagnie de gens inconnus, être assis, être même parfois serrés contre des inconnus, c’est risqué, on peut tomber en amour avec sa voisine, son voisin, on croit que cela n’arrive qu’au cinéma, et non au théâtre aussi, il y a ce risque, cela peut aussi changer votre vision du monde, modifier la manière dont vous regardez les choses, entrez dans un théâtre est un acte de résistance. »

Un acte de résistance – celui de choisir d’être là, dans une salle avec de vrais acteurs, de vraies actrices… plutôt que devant un écran, chez soi. Il y a, dans les mots d’Alcide que Luca Leone incarne avec fougue, un rappel de ce pour quoi le monde culturel s’est battu ces derniers mois – ce pour quoi il se bat toujours. Assister à un spectacle d’art vivant, quel que soit cet art, est un acte qui rapproche les êtres, au-delà des générations et des différences… au-delà des secrets. Un acte qui permet, l’espace d’un temps défini, de partager l’existence d’inconnues et d’inconnus dont, soudain, on se sent infiniment proche. Une jolie leçon d’espoir et de résilience, pour cette pièce qui, comme tant d’autres, a été malmenée par la pandémie !

La mise en abyme proposée par La Cité des Secrets n’est pas seulement celle des arts vivants ; elle concerne aussi ce moment particulier qu’est l’adolescence, avec ses hauts et ses bas : à travers les secrets des unes et des autres (orientation sexuelle, enfance difficile, crise familiale…), c’est l’équilibre instable de la construction des individus qui est exploré. Cette proposition s’avère d’autant plus forte que la troupe de la Bande J est composée de jeunes de 17 à 20 ans – de jeunes, donc, en prise avec ces moments de construction ! Leur énergie, leur maturité de jeu, leur interdisciplinarité (ils et elles s’illustrent autant en théâtre qu’en danse et en chant) estomaquent : en tant que troupe, la Bande J forme un ensemble cohérent et uni… au sein duquel, néanmoins, personne ne perd son individualité. Dirigée par des professionnel·le·s pour la mise en scène (Évelyne Castellino, Matthieu Wenger) et les chorégraphies (Évelyne Castellino et Nathalie Jaggy), la troupe a déjà la flamme qui anime les artistes chevroné·e·s. On ne peut que saluer leurs mérites : celui de nous avoir fait rêver, le temps d’une virée au cirque… celui d’avoir tenu bon, dans cette période sanitaire troublée… celui, enfin, de vivre leur passion et d’y aller à fond. Valentin, Nora C., Nora D., Fiona, Mathilda, Luca, Alizé, Téo et Katia : merci et surtout, bravo !

Percer les secrets de la Parfumerie

Source: Tribune de Genève

Dix jeunes interprètes de la Bande J sont sur la scène de la Parfumerie pour un nouveau spectacle réglé par Evelyne Castellino, Nathalie Jaggi et Matthieu Wenger. « La Cité des secrets ». est une fantaisie écrite notamment par Serge Martin, réunissant des personnages d’artistes de la scène aux ressources multiples, placés sous la houlette d’un directeur de troupe pour lequel seuls comptent les talents et l’engagement artistique. la Bande J est la troupe des jeunes de la Cie 100% Acrylique, fondée en 1983 par Evelyne Castellino. Une formidable occasion de prendre une bouffée d’air frais au contact des élèves de cette infatigable formatrice genevoise.

Evelyne Castellino, les secousses du monde

LE TEMPS 
Article écrit par

Ce week-end, Genève célèbre son théâtre. Parmi la vingtaine de compagnies associées aux festivités, la Cie 100% Acrylique est sans doute la plus remuante. Portrait de sa fondatrice, qui a fait de l’expression libre sa passion.

L’énergie faite femme. A la voir galoper à la tête de ses créations et des cours qu’elle continue à donner, on se dit qu’Evelyne Castellino, la septantaine vigoureuse et volontaire, se souvient des dix années où elle a été cavalière. Car oui, la fondatrice de la Cie 100% Acrylique, troupe qui fait les beaux jours de la danse-théâtre à Genève depuis 1983, a d’abord connu les joies du cheval avant les frissons de la scène. De quoi galvaniser cette enfant aux origines italienne et allemande, qui a finalement choisi la danse comme manière «de questionner l’époque et de transmettre des valeurs aux plus jeunes» à travers les Ateliers Acrylique qu’elle a fondés en 1977. Metteuse en scène, pédagogue, mère et grand-mère, Evelyne Castellino est une planète qui rayonne et fédère.

«Elle a le sens de l’équipe. Elle sait réunir des artistes qui travaillent ensemble, sans compétition.» «C’est fou, au début des répétitions, ça part dans tous les sens et, à la fin, elle arrive à tirer une vraie ligne de fond.» «Elle a un instinct très sûr de ce qui fonctionne ou non sur un plateau, une formidable intuition!» A l’œuvre, ces jours, dans Un Discours! Un discours! Un discours!, spectacle qui croise paroles publiques et névroses privées à la Parfumerie, les comédiens-danseurs dressent un portrait très détaillé de leur metteuse en scène. C’est qu’Evelyne Castellino a le sens des fidélités. Antoine Courvoisier, Cléa Eden et Verena Lopes ont été ses élèves, adolescents, au sein des Ateliers, avant de rejoindre la Bande J, compagnie junior qui accueille les 17-25 ans. Pareil pour les plus âgés Christian Scheidt, Céline Goormaghtigh, Maud Faucherre et, bien sûr, le vidéaste Francesco Cesalli. Tous sont également des habitués. «C’est lié, je pense, à un besoin d’aller vite et loin, estime la cheffe de troupe. Je demande beaucoup à mes interprètes. Souvent, ils écrivent une partie du spectacle avec moi. Le fait de les connaître en amont m’épargne l’étape de la familiarisation.»

Source: Le Temps 

7 secondes : l’Amérique en question

Source: La Pépinière
Publié par Magali Bossi
Photos : ©Aline Zandona

« Jusqu’où doit aller l’obéissance ? La guerre est-elle un jeu désincarné ? L’autre est-il moins humain que nous-mêmes, parce qu’il est lointain ? Ces questions étaient celles posées en mai par 7 secondes (in God we trust), jouée à la Parfumerie par la Bande J.

Un homme, dans un avion, perdu dans le ciel. Dans ses soutes, quelque chose de terrible, qu’il doit faire exploser. En-dessous, l’inconnu : un désert, un village, une ville ? Des civils, peut-être.

À des milliers de kilomètres, la famille de l’homme prépare un pique-nique. Donuts, gamins insupportables et mère peroxydée. Une sortie d’autoroute et des idées étriquées. Mais surtout, une émission de télévision qui dit la vérité sur Nous et Les Autres : In God We Trust.

Entre les deux : un ange qui observe. Narrateur, protecteur, spectateur ? Un peu des trois. Et qui met en lumière les contradictions destructrices d’un monde contemporain devenu trop manichéen.

Résumer 7 secondes (in God we trust) du dramaturge allemand Falk Richter, c’est emprunter des raccourcis pour démêler un enchevêtrement complexe de niveaux qui s’interpénètrent. Les personnages se croisent et se recroisent – l’aviateur, sa famille, l’ange… mais aussi un scénariste pédant qui veut adapter l’histoire de l’aviateur, des foules aux identités indistinctes (troupes d’acteurs ? public d’un show télévisé ? voix de la population ?), des corps qui se meuvent et se rencontrent pour se séparer aussitôt.

Les jeunes acteurs de la Bande J ont tous entre 17 et 21 ans ; quoi de plus normal, lorsqu’on sait qu’ils composent la troupe junior de la Cie Acrylique[1]. s’emparent de 7 secondes (in God we trust) avec une maestria rare. Ce ne sont plus seulement les mots de Richter qui remettent en question l’obéissance, les ordres, les relations hiérarchiques, le rôle de l’armée, l’aveuglement des masses et l’absence d’esprit critique – ce sont aussi les gestes, les regards, les mouvements. Dans la mise en scène d’Evelyne Castellino et Lino Eden, la pièce fait une grande part au montage et à la rencontre entre les arts : le chant fait place au texte, la danse est omniprésente, attestant de la polyvalence des jeunes artistes, qui alternent jeu d’acteurs et prouesses de danseurs sans difficulté.

Comment cerner l’émotion que construit 7 secondes (in God we trust) ? Le mieux serait, peut-être, d’isoler quelques moments – comme autant de coups de poings destinés à remettre le monde sur un axe moins bancal. Ou du moins, à essayer.

La sensation, d’abord, de n’avoir pratiquement pas respiré durant plusieurs minutes. Pas par crainte ou énervement, mais par fascination devant l’incipit de la pièce : d’un groupe homogène de silhouettes serrées les unes contre les autres, des ombres se détachent. Elles avancent, lentes ou rapides, assurées ou timides, incertaines ou extravagantes. Sur de la musique ? Impossible de s’en souvenir. Mais elles vont et viennent, atteignent le bord du plateau, repartent en arrière. Elles alternent les sauts, la course, les virevoltes… Elles capturent le regard sans rien raconter, encore. Face à ce mouvement hypnotique, peu importe alors de découvrir l’histoire qu’ouvre cette étrange scène. Peu importe, même, de respirer.

Le sentiment, ensuite, de prise de conscience progressive. L’aviateur de 7 secondes (in God we trust) n’est pas présenté frontalement au public ; il ne lui livre pas de réponses toutes faites – pour la simple et bonne raison qu’il n’en a pas. Il se dévoile par la bande, tandis que les mots tournent dans sa bouche et dans sa tête, tout occupé qu’il est à démêler la situation inextricable où il se trouve. Le doute, l’incompréhension, la peur, la colère, l’indifférence, la remise en question sont autant d’étapes que l’aviateur traverse, prisonnier dans son cockpit. En bout de course, la seule interrogation qui compte : obéir ou ne pas obéir.

La réflexion, enfin, d’être face à la caricature réelle d’une réalité caricaturale. Dans son jardin, perdue quelque part au Texas ou dans le Colorado, la gentille-petite-famille-américaine s’installe devant la télévision pour regarder son show préféré : In God We Trust, l’émission qui dit la vérité sur le monde et le président, sur les guerres que nous avons raison de mener, sur nos soldats qui se battent dans des pays dont nous ignorons le nom mais contre des gens qui sont forcément méchants. On imagine presque les majuscules qui légitimeraient ce point de vue. Et ce programme est celui d’un monde dans lequel nous vivons. Vraiment.

7 secondes (in God we trust) est une pièce qui mérite d’être vue, pour ce qu’elle secoue à l’intérieur de nous-même. Pour les minuscules déchirures qu’elle provoque notre vision du réel. Pour la remise en question nécessaire par laquelle nous devrions tous passer.

Magali Bossi

A La Parfumerie, des jeunes explosent d’énergie

Article dans Le Temps
Ecrit par Marie-Pierre Genecand
Le 8 mai 2019

Des bombes qui éliminent des villages entiers. Sous la direction d’Evelyne Castellino, la Bande J raconte la guerre selon Falk Richter. Bluffant.

Que les gens qui doutent de la capacité de travail des 15-17 ans se rendent d’urgence au Théâtre de la Parfumerie, à Genève! Là, 15 adolescents dansent, chantent et jouent la comédie avec une telle précision et une telle envie qu’on en ressort admiratif et séduit. La chorégraphe Evelyne Castellino n’est évidemment pas pour rien dans cette déferlante d’énergie. Depuis plus de trente ans qu’elle a fondé sa compagnie 100% Acrylique, l’artiste associée à sa fille Nathalie Jaggi a toujours conçu la scène comme le lieu des corps libérés et éloquents.

Ici, elle emmène la Bande J sur les traces de Falk Richter, ce dramaturge allemand dont les textes à la mitraillette explosent les faux-semblants. Le thème de Sept secondes (in God we trust), paru en 2003? L’opération Tempête du désert de Bush, ou comment des pilotes US ont été téléguidés à distance pour exploser des villages entiers. Et comment les Américains, au pays, ont célébré ce nettoyage au kilomètre carré.

Et si la guerre s’abattait sur nous?

Sauf que Richter est un peu sadique. Subitement, il plonge ces fans d’une émission de téléréalité à la gloire de l’US Army dans un état de panique. Une sirène hurlante les force à courir remplir leurs caddies en prévision de la pénurie. Et si la tragédie si lointaine s’abattait subitement sur nos contrées? questionne le dramaturge allemand. Et si le carnage du désert devenait notre réalité? tacle-t-il. En parallèle, on entend justement la voix de ceux qui ont tout perdu. Cette jeune fille (Eleonora Wuarin) qui a vu son village se désagréger sous ses yeux et qui, tétanisée, peine à témoigner.

On entend des récits et des paroles hachées, mais on voit surtout, et dès la scène initiale, des corps secoués. La compagnie Acrylique a toujours eu ce talent de chorégraphier des foules affolées. Alignés au fond de la salle, les jeunes s’avancent vers le public. Chacun sa silhouette, chacun son style. Ils marchent, s’arrêtent à deux pas des spectateurs qu’ils fixent, repartent. Ensuite, lorsqu’ils reviennent, une main s’agite, une tête se tourne, des épaules s’affaissent. Le grain de sable grippe la machine. Enfin, les corps se heurtent, se mêlent, se reconnaissent ou se défient, se retrouvent pour se séparer à nouveau, et, sur des musiques de cathédrale, c’est le bal de la solitude contemporaine qui se raconte fortissimo.

Gym à la télé

Plus tard, on rit avec une parodie de gymnastique télévisée. Et encore plus tard, on est ému par un solo de danse d’une fille légère comme une plume (Annaïk Juan-Torres) qui amène sa délicatesse dans cette satire musclée. Le chant aussi joue son rôle. Soli (Nicolas Koch, Morgane Haldi) et tutti reprennent l’absurde quête du bonheur dans un monde miné par la guerre.

Quant au texte, l’enchaînement de monologues, procédé cher à Richter, va du désarroi du pilote téléguidé par ses supérieurs (Lucien Thévenoz) aux diatribes sécuritaires d’un président US déchaîné (Basile Campanelli). Un ange subtil veille aussi sur l’aventure (Luna Desmeules). Mais ce qui reste de la soirée, c’est le formidable élan collectif d’une troupe soudée et dont, même s’il est impossible de tous les citer, on salue chacun pour la qualité de ses talents et de son investissement.

Sept secondes (in God we trust), jusqu’au 12 mai 2019, La Parfumerie, Genève.

Les passionnés de la Bande J interprètent la passion d’une jeune fille violée

Tribune de Genève – 19 avril 2018
Katia Berger

Théâtre – Evelyne Castellino canalise la fougue de sa troupe Acrylique Junior dans une «Amygdale» fruit d’un travail collaboratif.

Il serait temps qu’on rende à Evelyne Castellino – et à sa coéquipière Nathalie Jaggi – l’hommage officiel qui lui est dû. Pour ses trente-cinq ans à la tête de la compagnie genevoise 100% Acrylique. Pour ses créations pluridisciplinaires qui s’abreuvent à un répertoire allant de Gogol à Shakespeare, de Hugo à Salinger. Mais surtout pour son inlassable engagement de maïeuticienne au sein de sa troupe Junior – dite la Bande J. Alors qu’elle présente le nouveau fruit de son labeur annuel avec 16 élèves âgés de 16 à 19 ans, voilà qui méritait d’être posé.

Joliment titré «L’Amygdale», le spectacle porte à nouveau la griffe artistique de la Castellino – griffe qu’elle partage jusqu’à un certain point avec son compagnon Serge Martin, pédagogue mieux connu grâce à la réputation de son école de théâtre. Passages dansés, chantés, filmés et joués s’enroulent ainsi dans un équilibre soigneusement ménagé entre scènes de groupe et monologues, histoire de donner tour à tour à chacun la vedette.

Tous les apprentis comédiens ont également eu voix au chapitre dans la composition du texte, finalisé par la cheffe de meute sur la base du roman «Kinky Birds» (Elsa Poisot) et de leurs témoignages respectifs. Avec l’atout qu’implique cette participation active: enrichir de vécus le thème de la violence sociale – viol, islamophobie, homophobie, harcèlement… Mais aussi avec ce bémol corollaire: des dialogues maison, moins aptes qu’un classique à exalter le jeu des acteurs.

Deux éléments plus théoriques fournissent néanmoins un apport non négligeable à la belle énergie qui circule sur le plateau. Le premier explique la non-assistance à personne en danger, lors du viol d’une jeune femme dans le métro, par la «diffusion de la responsabilité», ce réflexe psychologique qui conduit à se reposer sur la réaction supposée d’autrui. Le second, lui, se penche sur le fonctionnement de l’amygdale, cette petite zone du cerveau où vient s’imprimer à jamais la mémoire émotionnelle qui échappe à la conscience: traumatisme subi, silence rompu, ou jubilation artistique au son de «Quand on arrive en ville»…

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Acrylique Junior joue à vous attraper le cœur

Théâtre: Nathalie Jaggi et Evelyne Castellino adaptent à la Parfumerie le totémique roman de J.D. Salinger.

Ceux qui l’ont lu n’ont pas pu l’oublier. Depuis soixante ans, L’Attrape-Cœur (The Catcher in the Rye en v.o.) marque à vie l’esprit des adolescents. On prétend même que le récit ayant rendu célèbre J.D. Salinger (1919-2010) a rempli, pour beaucoup, la fonction de meilleur ami – de «seule personne capable de vous comprendre», dira l’écrivain français Eric Neuhoff.

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